5.10.14

Les lourdes roches de l'Oural (Boris Ryjii)


Il a déjà été question dans ces colonnes, de Boris Ryjii, poète de l'Oural mort à vingt-six ans ("Un ciel grand comme l'Oural"), qui fait l'objet d'un culte sur ses terres natales. "Je ne suis pas politique, disait Émile Ajar, je suis biologique". Et, en effet, la gravité terrestre semble avoir écrasé ce type tout jeune, ultrasensible, aux dons stupéfiants. "Que l'homme, disait encore Rilke dans une lettre à Lou-Andréas Salomé, se taise, lui qui sans chemin dans les monts de ses sens a erré, qu'il se taise".
Fils d'un père géologue, le jeune homme qu'il restera éternellement, fut champion de boxe amateur de sa région dans son adolescence (quelque chose à prouver, mec ? T'inquiète, on en est tous là). Outre 1300 (!) poèmes, dont ne furent publiés que 350 (!…), il fit lui aussi des études de géologie, et fut l'auteur de travaux savants sur les secousses sismiques en Oural et en Ukraine. Il fut encore lauréat du prix "Antibooker" pour son (anti)poésie, catégorie "Inconnu".
Le réalisateur hollandais qui tourna un documentaire sur ce curieux personnage cherchait, paraît-il, à déterminer pourquoi un mec aussi brillant s'était pendu avant trente ans. La réponse me paraît simple : une telle intelligence ne rend pas heureux. Et la sagesse des pierres que le poète évoque ci-dessous ne fut au final pour le géologue qu'un poids supplémentaire.
Que la terre lui soit légère, comme disent les Africains.

(Vers de Boris Ryjii, traduits par TM)
Sur quoi les pierres grises font-elles silence ?
À quoi bon, sourde à leur mutisme reste la terre ?
Avec leur pesante masse, j’ai si peu de distance.
En ce qui concerne les vers,
Dans un vers, compte avant tout ce que l’on tait.
La rime est-elle fidèle, non on ne peut pas lui faire confiance.
Qu’est-ce que la parole ? Rien qu’une attente sans arrêt
Pour l’éloquence du silence.
De la prose les vers doivent se distinguer
Non seulement par leur solitude ou leur rareté.
De bon matin, d’une main chaude j’ai essuyé
Les pierres des larmes déversées.
BORIS RYJII

О чем молчат седые камни?
Зачем к молчанию глуха
земля? Их тяжесть так близка мне.
А что касается стиха —
в стихе всего важней молчанье, —
верны ли рифмы, не верны.
Что слово? Только ожиданье
красноречивой тишины.
Стих отличается от прозы
не только тем, что сир и мал.
Я утром ранним с камня слезы
ладонью теплой вытирал.
Борис Рыжий